Dans quelle mesure la crise économique actuelle amplifie-t-elle la souffrance au travail ?
Les restructurations sont fréquentes en période de crise. Avec quel impact sur la santé des salariés qui les subissent ?
Le syndrome du survivant
Si l’'accroissement des suicides en Europe ne peut être corrélé avec certitude à l’'aggravation de la situation économique, un rapport publié en 2009 par le groupe d’'experts européens HIRES s’'attache néanmoins à étudier les conséquences des plans de licenciement sur la santé des salariés.
Les auteurs distinguent deux populations : les salariés qui perdent leur emploi, et ceux restés dans l’'entreprise, surnommés «rescapés» ou «survivants».
Or, si l’'effet sur la santé de la perte d'’emploi fait l’'objet d'’une littérature abondante, peu d’'études ont été consacrées à ces «survivants».
Le licenciement d’un collègue est souvent vécu comme un choc. Le survivant d'’un plan de licenciement peut éprouver des sentiments de culpabilité’, d’'incertitude face à l'’avenir, auxquels s'’ajoute la nécessité de s’'adapter à un nouvel environnement, voire à une intensification du travail.
La souffrance éthique
Le rapport pointe aussi la détresse des cadres chargés de mettre en place les changements. Souvent ignorés des restructurations, ils sont «pris entre deux feux, partagés entre deux types de responsabilités: appliquer les décisions de la direction et assurer le bien-être et la santé du personnel placé sous leur autorité».
Selon une étude publiée en 2006, les cadres chargés de transmettre les préavis de licenciement sont plus exposés à des problèmes de santé physique et aux insomnies que ceux qui n'’ont pas encore eu à licencier du personnel, ces troubles étant liés à «un épuisement affectif accentué».
L'’expression «souffrance éthique» désigne en psychologie du travail le malaise que ressent un salarié amené à exécuter des tâches en contradiction avec ses valeurs, ce que le psychiatre Christophe Dejours qualifie de «sale boulot», une notion empruntée au sociologue américain Everett C. Hughes.
Cette souffrance touche des personnes qui doivent accomplir des tâches qu’'elles désapprouvent d'’un point de vue éthique, mais aussi celles qui, à cause d’'un manque de moyens, de temps, d’'informations, ne sont pas en mesure d’'accomplir un travail de qualité.
L’'apprentissage du dialogue
Quand les marges de manoeœuvre se resserrent, lorsque les organisations ont de moins en moins de moyens à consacrer à la prévention des risques psycho-sociaux, où trouver des solutions ?
Face aux difficultés rencontrées au quotidien, Marie Pezé prône le dialogue au sein de l'’organisation : « Beaucoup de problèmes pourraient se régler si on demandait leur avis aux personnes qui travaillent sur le terrain, parce que c'’est dans les dix mètres autour de leur poste de travail que se trouvent la plupart des solutions concrètes, pragmatiques, efficaces pour trouver le compromis entre l’'envie de faire du beau travail et les injonctions de la macro-économie. Si on laissait des discussions, des délibérations sur le travail avoir lieu tous les jours, au-delà des combats idéologiques, on trouverait ces compromis».
Se pose également la question de la différence entre travail prescrit et travail réel, à savoir, la différence entre le travail théorique tel qu'’il est défini par les bureaux de méthode, et le travail qu'’effectue réellement le salarié.
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